Le Lieu

Résumé,
Le Modèle, sa Copie et ...le Lieu
La métamorphose des éléments
Principes de topologie
Trois genres
L'empreinte, le réceptacle
de la Nature du Lieu !
Les perceptions, du corps et de l'esprit , opinions et idées
La forme immuable, la copie, le lieu
Les 3 principes pour la formation du monde
Le chaos
L'intelligence classificatoire, classificatrice divine

(résumé)

Reprenons donc notre explication.

Nous avons jusqu’à présent distingué le modèle intelligible et toujours le même, et la copie visible et soumise au devenir.

Il faut y ajouter une troisième espèce, qui est comme le réceptacle et la nourrice de tout ce qui naît.

Les quatre éléments se changent sans cesse l’un dans l’autre ;

mais ce en quoi chacun d’eux naît et apparaît successivement pour s’évanouir ensuite, c’est quelque chose qui demeure identique, une forme invisible qui reçoit toutes choses, sans revêtir elle-même une seule forme semblable à celles qui entrent en elles, et qui participe de l’intelligible d’une manière fort obscure, saisissable seulement par une sorte de raison bâtarde. On peut l’appeler le Lieu.

 

(Un des 4 incorporels des stoïciens : le Temps, le Lieu, le Vide et le Lekton (le dicible, l'exprimable)).


(développement)

Le Modèle, sa Copie et ...

Pour moi, voici ce que je compte faire aujourd’hui. p108

Le principe ou les principes de toutes choses, ou quel que soit le nom qu’on préfère, je n’en parlerai pas à présent, par la simple raison qu’il me serait difficile d’expliquer mon opinion, en suivant le plan de cette exposition.

Ne croyez donc pas que je doive vous en parler.
Moi-même je ne saurais me persuader que j’aurais raison d’aborder une si grande tâche.

Mais je m’en tiendrai à ce que j’ai dit en commençant, à la valeur des explications probables, et j’essayerai, comme je l’ai fait dès le début, de donner, sur chaque matière et sur l’ensemble, des explications aussi vraisemblables, plus vraisemblables même que toutes celles qui ont été proposées.

Invoquons donc encore une fois, avant de prendre la parole, la divinité, pour qu’elle nous guide dans cette exposition étrange et insolite vers des doctrines vraisemblables et reprenons notre discours.


Pour commencer cette nouvelle explication de l’univers, il faut pousser nos divisions plus loin que nous ne l’avons fait jusqu’ici.

Nous avions alors distingué deux espèces ; il faut à présent en faire voir une troisième.

Les deux premières nous ont suffi pour notre première exposition :

l’une, intelligible et toujours la même, était supposée être le modèle,

la deuxième, soumise au devenir et visible, était la copie de ce modèle.

Nous n’avons pas alors distingué de troisième espèce, ces deux-là semblant nous suffire.

 

Mais, à présent, la suite du discours semble nous contraindre à tenter de mettre en lumière par des paroles une espèce difficile et obscure.

Quelle propriété naturelle faut-il lui attribuer ?

La métamorphose des éléments

Celle-ci avant tout : elle est le réceptacle et pour ainsi dire la nourrice de tout ce qui naît.

Voilà la vérité ;
mais elle demande à être expliquée plus clairement,
et c’est une tâche difficile, spécialement parce qu’il faut pour cela résoudre d’abord une question embarrassante sur le feu et les autres corps qui vont avec lui ;
car il est malaisé de dire de chacun de ces corps lequel il faut réellement appeler eau plutôt que feu, et lequel il faut appeler de tel nom plutôt que de tous à la fois ou de chacun en particulier, pour user d’un terme fidèle et sûr.

Comment donc y parviendrons-nous, par quel moyen, et, dans ces difficultés, que pouvons-nous dire de vraisemblable sur ces corps ?
D’abord nous voyons que ce que nous appelons
eau
à présent, devient, croyons-nous, en se condensant, des pierres et de la terre, et qu’en fondant et se dissolvant, ce même élément devient souffle et air ;

que l’air enflammé devient feu, et qu’au rebours, le feu contracté et éteint revient à la forme d’air, que l’air condensé et épaissi se transforme en nuage et en brouillard, et que ceux-ci, comprimés encore davantage, donnent de l’eau courante,
que l’eau devient de nouveau de la terre et des pierres, de sorte que
les éléments, à ce qu’il semble, se transmettent en cercle la naissance les uns aux autres.


Ainsi, puisque nul d’entre eux ne se montre jamais sous la même figure, duquel d’entre eux pouvons-nous affirmer positivement qu’il est telle ou telle chose et non une autre, sans rougir de nous-mêmes ? p110

Personne ne le peut. Il est beaucoup plus sûr de s’exprimer à leur sujet de la façon suivante.

Voyons-nous un objet passer sans cesse d’un état à un autre, le feu,
par exemple, ce n’est point cet objet,

mais ce qui a toujours cette qualité qu’il faut appeler feu ;
ne disons pas non plus que ceci est de l’eau,
mais ce qui a toujours cette qualité,
et ne parlons jamais d’aucun de ces éléments comme ayant de la stabilité,
ce que nous faisons, quand nous les désignons par les termes ceci et cela, nous imaginant indiquer quelque chose de déterminé.

Car ces éléments sont fuyants et n’attendent pas qu’on puisse les désigner par ceci et cela et cet être ou par toute autre expression qui les représente comme permanents.
Il ne faut appliquer ces termes à aucun d’eux, mais les réserver à ce qui est toujours tel et circule toujours pareil, quand on parle, soit de l’un d’eux, soit de tous ensemble.

Ainsi, par exemple, nous appellerons feu ce qui a partout cette qualité,
et de même pour tout ce qui est soumis à la génération.
Mais ce en quoi chacun des éléments naît et apparaît successivement pour s’évanouir ensuite, cela seul peut être désigné par les expressions cela et ceci.
Au contraire, ce qui est de telle qualité, chaud, blanc, ou de toute autre qualité contraire, et tout ce qui en est dérivé, ne sera jamais désigné par le terme cela.


Principes de topologie p111

Tâchons de mettre encore plus de clarté dans notre exposition.

Supposons qu’un artiste modèle avec de l’or des figures de toute sorte,
et qu’il ne cesse pas de changer chacune d’elles en toutes les autres,
et que, montrant une de ces figures,
on lui demande ce que c’est, la réponse de beaucoup la plus sûre, au point de vue de la vérité, serait : c’est de l’or.

Quant au triangle et à toutes les autres figures que cet or pourrait revêtir, il n’en faudrait pas parler comme d’êtres réels, puisqu’elles changent au moment même où on les produit ; et s’il y a quelque sûreté à admettre qu’elles sont « ce qui est de telle qualité », il faut s’en contenter.

Il faut dire la même chose de la nature qui reçoit tous les corps : il faut toujours lui donner le même nom ; car elle ne sort jamais de son propre caractère : elle reçoit toujours toutes choses sans revêtir jamais en aucune façon une seule forme semblable à aucune de celles qui entrent en elle.
Sa nature est d’être une matrice pour toutes choses ; elle est mise en mouvement et découpée en figures par ce qui entre en elle, et c’est ce qui la fait paraître tantôt sous une forme, tantôt sous un autre.

Quant aux choses qui entrent en elle et en sortent, ce sont des copies des êtres éternels, façonnés sur eux d’une manière merveilleuse et difficile à exprimer ; nous en reparlerons une autre fois.


Trois genre p112

Quoi qu’il en soit, il faut, pour le moment,
se mettre dans l’esprit trois genres,
ce qui devient,
ce en quoi il devient
et le modèle sur lequel ce qui devient est produit.

En outre, on peut justement assimiler le réceptacle à une mère,
le modèle à un père
et la nature intermédiaire entre les deux à un enfant.

L'empreinte, le réceptacle

Il faut observer encore que,
si l’empreinte doit présenter toutes les variétés qu’il est possible de voir,
le réceptacle où se forme cette empreinte serait malpropre à ce but,
s’il n’était dépourvu de toutes les formes qu’il doit recevoir d’ailleurs.

Si, en effet, il avait de la ressemblance aux choses qui entrent en lui,
quand les choses de nature opposée ou totalement différentes viendraient s’imprimer en lui, il les reproduirait mal, parce que ses propres traits paraîtraient au travers.

Il faut donc que ce qui doit recevoir en lui toutes les espèces soit en dehors de toutes les formes.

Il en est ici comme dans la fabrication des onguents odorants, où le premier soin de l’artisan est justement de rendre aussi inodore que possible l’excipient humide destiné à recevoir les parfums.

C’est ainsi encore que, pour imprimer des figures dans quelque substance molle, on n’y laisse subsister absolument aucune figure visible et qu’au contraire on l’aplanit et la rend aussi lisse que possible.

Il en est de même de ce qui doit recevoir fréquemment, dans de bonnes conditions et dans toute son étendue, les images de tous les êtres éternels

p113

de la Nature du Lieu !

il convient que cela soit, par nature, en dehors de toutes les formes.

C’est pourquoi il ne faut pas dire que la mère et le réceptacle de tout ce qui est né visible ou sensible d’une manière ou d’une autre, c’est la terre, ou l’air ou le feu ou l’eau, ou aucune des choses qui en sont formées ou qui leur ont donné naissance.

Mais si nous disons que c’est une espèce invisible et sans forme qui reçoit tout et qui participe de l’intelligible d’une manière fort obscure et très difficile à comprendre, nous ne mentirons pas.

Autant qu’on peut, d’après ce que nous venons de dire, atteindre la nature de cette espèce, voici ce qu’on en peut dire de plus exact :

la partie d’elle qui est en ignition paraît toujours être du feu, la partie liquéfiée de l’eau, et de la terre et de l’air, dans la mesure où elle reçoit des images de ces éléments.


Mais il faut, en poursuivant notre enquête sur les éléments, éclaircir la question que voici par le raisonnement.

Y a-t-il un feu qui soit le feu en soi et toutes les choses dont nous répétons sans cesse qu’elles existent ainsi en soi ont-elles réellement une existence individuelle ?

Ou bien toutes les choses que nous voyons et toutes celles que nous percevons par le corps sont-elles les seules qui aient une telle réalité et n’y en a-t-il absolument pas d’autre nulle part ?

Parlons-nous en l’air, quand nous affirmons qu’il y a toujours de chaque objet une forme intelligible et n’est-ce donc là que du verbiage ?

p114

Il est certain que nous ne pouvons pas affirmer qu’il en est ainsi, sans avoir discuté la question et prononcé notre jugement, ni insérer dans notre discours déjà long une longue digression.

Mais si nous trouvions une distinction importante, exprimable en peu de mots, rien ne serait plus à propos.

Pour ma part, voici le jugement que j’en porte.

 

Les perceptions, du corps et de l'esprit , opinions et idées

Si l’intelligence et l’opinion vraie sont deux genres distincts, ces idées existent parfaitement en elles-mêmes : ce sont des formes que nous ne pouvons percevoir par les sens, mais seulement par l’esprit.

Si, au contraire, comme il semble à quelques-uns, l’opinion vraie ne diffère en rien de l’intelligence, il faut admettre que tout ce que nous percevons par le corps est ce qu’il y a de plus certain.

Mais il faut reconnaître que ce sont deux choses distinctes, parce qu’elles ont une origine séparée et n’ont aucune ressemblance.

Car l’une est produite en nous par l’instruction, l’autre par la persuasion ;
la première va toujours avec le discours vrai, l’autre ne raisonne pas ;
l’une est inébranlable à la persuasion, l’autre s’y laisse fléchir.

Ajoutons que tous les hommes ont part à l’opinion,
mais que l’intelligence est le privilège des dieux et d’un petit nombre d’hommes
.

 

La forme immuable, la copie, le lieu

S’il en est ainsi, il faut reconnaître qu’il y a

d’abord :

1) la forme immuable qui n’est pas née et qui ne périra pas,
qui ne reçoit en elle rien d’étranger, et qui n’entre pas elle-même dans quelque autre chose, qui est invisible et insaisissable à tous les sens,
et qu’il appartient à la pensée seule de contempler.


2) Il y a une seconde espèce, qui a le même nom que la première et qui lui ressemble, mais qui tombe sous les sens, qui est engendrée, toujours en mouvement, qui naît dans un lieu déterminé pour le quitter ensuite et périr, et qui est saisissable par l’opinion jointe à la sensation. p115

3) Enfin il y a toujours une troisième espèce, celle du lieu, qui n’admet pas de destruction et qui fournit une place à tous les objets qui naissent.

Elle n’est elle-même perceptible que par un raisonnement bâtard où n’entre pas la sensation ; c’est à peine si l’on y peut croire.

Nous l’entrevoyons comme dans un songe, en nous disant qu’il faut nécessairement que tout ce qui est soit quelque part dans un lieu déterminé, occupe une certaine place, et que ce qui n’est ni sur la terre ni en quelque lieu sous le ciel n’est rien.

À cause de cet état de rêve, nous sommes incapables à l’état de veille de faire toutes ces distinctions et d’autres du même genre, même à l’égard de la nature éveillée et vraiment existante, et ainsi d’exprimer ce qui est vrai, à savoir que l’image, parce que cela même en vue de quoi elle est façonnée ne lui appartient pas et qu’elle est comme le fantôme toujours changeant d’une autre chose, doit, pour cette raison, naître dans autre chose et s’attacher ainsi en quelque manière à l’existence, sous peine de n’être rien du tout, tandis que l’être réel peut compter

sur le secours du raisonnement exact et vrai, lequel établit que, tant que les deux choses sont différentes, aucune des deux ne pouvant jamais naître dans l’autre, elles ne deviendront pas à la fois une seule et même chose et deux choses. p116

Les 3 principes pour la formation du monde

Prenez donc ceci pour le résumé de la doctrine que j’ai établie d’après mon propre jugement :

l’être, le lieu, la génération sont trois principes distincts et antérieurs à la formation du monde.

Or, la nourrice de ce qui naît, humectée et enflammée, recevant les formes de la terre et de l’air et subissant toutes les modifications qui s’ensuivent, apparaissait sous des aspects de toute espèce.

Le chaos

Et parce que les forces dont elle était remplie n’étaient ni égales ni en équilibre, elle n’était en équilibre en aucune de ses parties ;
mais ballottée inégalement dans tous les sens,
elle était secouée par ces forces et leur rendait secousse pour secousse.

Emportés sans cesse les uns dans un sens, les autres dans l’autre,
les objets ainsi remués se séparaient, de même que, lorsqu’on agite des grains et qu’on les vanne avec des cribles et des instruments propres à nettoyer le blé, ce qui est épais et pesant va d’un côté, ce qui est mince et léger est emporté d’un autre, où il se tasse. p117


Il en était alors de même des quatre genres secoués par leur réceptacle ; remué lui-même comme un crible, il séparait très loin les uns des autres les plus dissemblables, et réunissait autant que possible sur le même point les plus semblables ; aussi occupaient-ils déjà des places différentes avant que le tout formé d’eux eût été ordonné. Jusqu’à ce moment, tous ces éléments ne connaissaient ni raison ni mesure.

L'intelligence classificatoire, classificatrice divine

Lorsque Dieu entreprit d’ordonner le tout, au début, le feu, l’eau, la terre et l’air portaient des traces de leur propre nature, mais ils étaient tout à fait dans l’état où tout se trouve naturellement en l’absence de Dieu.
C’est dans cet état qu’il les prit, et il commença par leur donner une configuration distincte au moyen des idées et des nombres.

Qu’il les ait tirés de leur désordre pour les assembler de la manière la plus belle et la meilleure possible, c’est là le principe qui doit nous guider constamment dans toute notre exposition.
Ce qu’il me faut essayer maintenant, c’est de vous faire voir la structure et l’origine de chacun de ces éléments par une explication nouvelle ; mais, comme vous êtes familiers avec les méthodes scientifiques que mon exposition requiert, vous me suivrez.

D’abord il est évident pour tout le monde que le feu, la terre, l’eau et l’air sont des corps.


(Pour des raison de lecture et de cohérence des paragraphes
la numérotation de références des pages n'est pas à la ligne près/ à l'original !
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